Les métiers du courtage connaissent des mutations profondes : nouvelles attentes des clients, apparition de concurrents disruptifs, digitalisation croissante. Pour en savoir plus, nous avons recueilli les témoignages de deux acteurs majeurs du courtage.
Dans le premier épisode de cette interview croisée, Eric Lamouret, Président du SYCRA (Syndicat des Courtiers d’Assurance) et Eric Debèse, Fondateur du label Made in Courtage, nous partagent leur vision du rôle du courtier.
I. Devenir courtier, un métier aux multiples facettes
1. « Le courtage, un espace de liberté professionnel »
Widmee : Qu'est-ce qui vous a incité à devenir courtier ?
Eric Lamouret : Après 15 ans de direction commerciale et développement en compagnies, à animer nationalement des agents généraux et des salariés de réseaux captifs de compagnies, puis des courtiers d’assurance, un chasseur de tête m’a sollicité pour prendre la direction générale d’une business-line d’un groupe de courtage.
Je suis ainsi passé du côté intermédiation après avoir été du côté porteur de risques. Fort d’une connaissance approfondie de la plupart des composantes du système assurantiel, devenir dirigeant dans le courtage me permettait de bénéficier d’un nouvel espace de liberté professionnelle dans une profession où le champ des possibles en matière de digital, de fluidité du parcours client et de disruption n’en était qu’à ces tous débuts, source de défis aussi nombreux que passionnants.
C’est ainsi que depuis 15 ans, j’explore de nouveaux horizons au quotidien, au plus près des besoins des clients dont nous sommes les mandataires en qualité de courtiers.
2. « Un métier, 3 casquettes »
Eric Debèse : Tout ça s’est passé il y a une vingtaine d'années, au moment où j’entrais dans la vie professionnelle. Ce qui m’a séduit dans le monde du courtage, c’est que ce métier regroupe 3 casquettes :
- Une casquette purement commerciale : aller chercher des clients, des prescripteurs, les animer et les fidéliser pour qu’ils nous fournissent des contacts à traiter.
- Une casquette technique puisque évidemment, chaque dossier de crédit va être différent. Dans une même journée, on peut traiter le dossier d’un jeune couple qui achète son premier appartement et 2 heures après, recevoir un client qui a une cinquantaine d'années qui est chef d’entreprise, multi-investisseur… Il faut donc pouvoir s’adapter à chaque client en termes d’approche du dossier mais aussi en termes de technique puisqu’un dossier de résidence principale ne va pas se monter de la même manière qu’un dossier pour un investisseur,…
- Enfin, une casquette de négociation. On a rencontré le client avec notre casquette commerciale, on a notre casquette technique pour analyser le dossier et enfin on met notre casquette de négociateur pour présenter le dossier en banque et obtenir les meilleures conditions de financement. D’ailleurs, quand on parle de conditions de financement, souvent, on pense au taux, au meilleur taux possible à obtenir mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi le sujet de l’assurance emprunteur, les contreparties que va demander l’établissement prêteur (“moi je suis d’accord pour prêter mais il va falloir que notre client domicilie ses revenus dans notre établissement, prenne une assurance, etc…”). Cette 3ème casquette est donc tout aussi importante que les 2 premières et c’est ce qui fait la richesse de notre métier.
II. Le rôle du courtier : un partenaire privilégié pour son client

1. « Servir en permanence les intérêts du client »
Widmee : Comment décririez-vous le rôle du courtier ?
Eric Lamouret : Le courtier en assurances est mandaté par son client (entreprise ou particulier) afin de trouver le contrat d’assurance qui convient le mieux à ses besoins parmi les différentes compagnies d’assurances du marché. Indépendant des assureurs, son rôle premier est bien sûr le conseil, un conseil avisé et maîtrisé. Pour moi, le courtier en assurances est avant tout dans une certaine mesure un « risk manager externalisé » de son client.
Le courtier n’est pas un simple prestataire, il est un partenaire qui sert en permanence les intérêts de ses clients tout au long de la vie du ou des contrats signés. Sa valeur ajoutée réside dans une analyse fine des besoins et audit de risques préalable pour construire et négocier la meilleure offre d’assurance pour son client.
Ces deux étapes essentielles permettent aux courtiers d’analyser avec précision les contrats en cours, mais aussi les sinistres, et de faire des propositions d’adaptation ou d’amélioration des garanties. Le courtier a un véritable rôle de médiateur entre l’assuré et l’assureur afin de répondre au mieux aux demandes de souscription et des besoins identifiés de son client. Il agit comme un véritable « conseil expert » dans la durée : le courtier en assurance travaille dans l’intérêt de l’assuré afin de l’épauler et l’aider jusqu’à la gestion de sinistres : indemnisation, gestion de sinistres, éventuelles démarches à la suite d’un sinistre.
Le métier de courtier réside dans la recherche de l’adéquation entre un projet personnel ou professionnel, d’un côté, et, de l’autre, des produits qui ne pourraient être qu’impersonnels sans son intervention à forte valeur ajoutée.
Le rôle du courtier consiste justement à combler ce grand écart entre le besoin de personnalisation du client et des offres conçues le plus généralement de manière standardisée, sauf pour les courtiers qui travaillent en délégation totale avec leurs assureurs et proposent leur propre intercalaire. Le courtier exerce alors sa capacité inédite de monter ses propres programmes d’assurance, d’écrire ses propres intercalaires qu’il propose aux compagnies choisies pour qu’elles portent le(s) risque(s).
Le courtier grossiste en particulier a pour spécificité de concevoir des produits d'assurances, de les placer auprès des assureurs porteurs de risques, lesquels lui délèguent les opérations de gestion et administratives pour enfin, les proposer à un réseau qui en assure la distribution. Cela permet au courtier grossiste de couvrir l’ensemble des besoins d’assurances du particulier et des entreprises en dommages aux biens, en assurances de personnes, en risques professionnels, en risques locatifs et immobiliers entre autres... Cette approche par marché lui permet d’aborder l’assuré final avec des offres globales, complètes et cohérentes. Avec un positionnement de multi-spécialiste, le courtier grossiste apporte à son réseau d’intermédiaires des solutions pertinentes et compétitives sur des segments de risques mal ou non servis par les assureurs traditionnels.
2. « Le courtier est un tiers de confiance »
Eric Debèse : Le courtier doit devenir le tiers de confiance de son client. Et ce, à plusieurs niveaux.
D’abord, parce quand un client sollicite un courtier, ce dernier va avoir besoin d’un ensemble d'éléments concernant la situation actuelle du client mais aussi sa situation future. Sa situation actuelle, ce sont bien sûr ses revenus, la composition de sa famille, … mais le courtier s’intéresse aussi à ses projets : cet appartement ou cette première maison que le client souhaite acheter, prévoit-il de l’habiter durablement ou, au contraire, s’agit-il d’une première opération et, dans quelques années, cette maison servira d’apport pour un futur projet ? Donc il faut acquérir la confiance du client et devenir un petit peu son confident pour le projet.
Et puis, l’autre point, quand on parle de confiance, c’est que le courtier doit pouvoir être entièrement disponible pour son client. On sait qu’un projet d’acquisition, ça ne se fait pas d’un claquement de doigts. On est plutôt sur une moyenne de 2 ou 3 achats immobiliers dans une vie. Donc à chaque fois, c’est un moment extrêmement important pour les clients. Peut-être que le samedi après-midi, le client qu’on a rencontré 2 jours avant va réfléchir avec sa femme et va avoir une question à poser. Il faut être capable de lui répondre.
Aujourd’hui, le courtier doit adapter ses outils de communication, ses moyens d’échanger avec les clients. Il y a quelques années, on donnait le numéro de téléphone de l’agence. En 2021, on échange par Whatsapp, par Messenger,…
C’est aussi une vraie valeur ajoutée du courtier par rapport aux acteurs traditionnels du crédit que sont les banquiers. Il n’est pas toujours facile de joindre son banquier. En général, le client tombe sur une plateforme d’appel, et pas forcément sur le bon interlocuteur. Pour le client, c’est frustrant car il attend de l’instantanéité dans la réponse.
III. Le courtage, un métier en perpétuelle évolution

1. « Un métier qui se complexifie d’année en année »
Widmee : Dans quelle mesure ce rôle a-t-il évolué depuis votre entrée dans le métier ?
Eric Lamouret : Depuis mon entrée dans le métier de courtier, celui-ci est en perpétuelle évolution et se complexifie d’année en année. L’une des raisons de cette évolution est l’importance croissante du règlementaire, avec notamment la mise en œuvre de la Directive sur la Distribution de l’Assurance, mais aussi du RGPD, etc….. Pour les assurés eux-mêmes, l’assurance est devenue au fil du temps de plus en plus complexe, ce qui n’a fait que renforcer l’irrépressible nécessité du conseil pertinent que seul le courtier peut apporter de façon indépendante.
Avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui viennent concurrencer les acteurs historiques et le renforcement de canaux de distribution disruptifs, la concurrence n’a cessé de croître pour les courtiers : bancassureurs, mutuelles sans intermédiaire, comparateurs, insurtech ou encore distribution directe par les assureurs. Les courtiers ont dû s’adapter en conséquence, évoluer et surmonter les difficultés. Non seulement, cette concurrence accrue a rendu le choix encore plus difficile pour le client, mais, pour le courtier, cela a parallèlement et logiquement entraîné la nécessité de connaître un plus grand nombre de solutions, occasionnant un travail d’analyse encore plus poussé pour trouver celle qui répond le mieux aux besoins du client, et ce, alors que le client réclame des résultats toujours plus rapidement et oblige le courtier à travailler dans l’immédiateté.
L’ACPR, notre autorité de tutelle, exige un conseil toujours plus précis et encadré, une solution adaptée à la situation de chaque client, une exigence qui concerne la proposition du courtier qui n’a cessé de devoir veiller à systématiquement proposer une solution adaptée et non plus une solution générale. Si la profession de courtier a toujours été une profession exigeant de la rigueur et du professionnalisme, trop longtemps, chacun pouvait travailler un peu comme bon lui semblait. Aujourd’hui le consumérisme est devenu non seulement une impérieuse nécessité mais surtout une priorité vitale, il est ainsi indispensable pour le courtier de structurer en conséquence son cabinet afin d’en assurer la pérennité et le développement.
La montée en puissance d’internet sur les quinze dernières années a également bouleversé un nombre important de marchés dont celui de l’assurance des clients « particuliers » essentiellement, mais pas uniquement. De nombreux distributeurs « online » sont venus modifier les modes de distribution ordinaires, avec la montée en puissance d’assureurs en ligne désormais nombreux, mais aussi avec les comparateurs d’assurance et les pôles d’assurance à distance de certaines compagnies ou encore les courtiers d’assurance en ligne et des plateformes d’assurance à la demande permettant de répondre à une demande croissante pour un accompagnement sur mesure, intuitif et rapide. L’omnicanal est également une tendance appelée à se poursuivre dans le courtage, mais sans jamais oublier la nécessaire relation humaine, les fondements de la confiance dans la distribution de l’assurance, un invariant de notre profession.
Enfin, le rôle du courtier a encore évolué avec l’avènement de certaines marketplaces (assurance emprunteur, assurance santé) qui font remonter les offres pertinentes en mettant en exergue les points forts correspondant à la demande initiale du client : le courtier peut ainsi guider son client dans son choix en s’appuyant sur l’intelligence artificielle qui lui permet de gagner du temps dans la souscription.
En résumé, dimension humaine, pédagogie, compétence, ouverture sur les technologies, réactivité, voire immédiateté, proximité, accompagnement, approche personnalisée, voilà les évolutions fondamentales du rôle du courtier depuis mon entrée dans la profession.
2. De nouvelles attentes clients
Eric Debèse : Le consommateur d’aujourd’hui n’est plus du tout le même qu’il y a 20 ou même 10 ou 5 ans. Et ce ne sont pas non plus les mêmes attentes que dans 2 ou 5 ans. Le courtier doit aussi être très agile et savoir s’adapter en permanence aux attentes de ses clients, sachant qu’il y a une multitude de profils clients.
Dans un prochain volet, nos interviewés évoquerons les évolutions récentes du métier de courtier.